Productivité

Un monde sans email, utopie ou nécessité ?

Depuis son déploiement dans les années 1990, l’email est devenu un incontournable de l’organisation professionnelle des métiers intellectuels. Personne n’imaginerait aujourd’hui travailler sans ce couteau suisse, qui sert à la fois de mode de communication asynchrone, d’outil de collaboration, de gestion des tâches et de stockage de l’information.

Et pourtant, qui ne s’est jamais plaint de sa boîte de réception ? Quelles que soient nos tentatives désespérées de la vider, les messages entrants n’ont de cesse de revenir à la charge, comme une version moderne d’un mythe grec. La faute à trop d’emails, dont une bonne partie ne nous concerne pas directement. La faute aussi aux demandes ambiguës qu’on doit élucider au prix de ressources cognitives importantes et de nombreux ping-pongs. En conséquence, le temps consacré au traitement des courriels prend progressivement le pas sur celui alloué à la réalisation des tâches.

Pour ne rien arranger, la généralisation des ordinateurs portables et des smartphones entraîne une hyperconnexion de plus en plus normalisée. Il est devenu banal de jeter un coup d’œil à ses mails le soir, le week-end ou en vacances, que ce soit pour éviter la surcharge du lendemain, par pression sociale ou par addiction.

Et s’il était possible de travailler autrement ?

C’est en tout cas une voie que l’auteur américain Cal Newport tente d’explorer dans son ouvrage récent, A World without Email. Reimagining Work in the Age of Overload, sorti en mars 2021. Cet opus s’inscrit dans la prolongation de Deep Work, publié en 2016. Vantant les mérites de la concentration, il y dénonçait déjà l’hyperactivité dans laquelle s’enfoncent de plus en plus les métiers du savoir. Dans ce dernier livre, Cal Newport décrit finalement la condition sine qua non pour pouvoir s’adonner pleinement au travail en profondeur : s’affranchir définitivement de l’email en réinventant l’organisation professionnelle.

Au fond, ce n’est pas tellement l’email en tant que tel qu’il fustige, mais l’une de ses conséquences. C’est ce qu’il appelle l’Hyperactive Hive Mind, et que je suis bien en peine de traduire en français. L’auteur définit l’expression comme une « organisation du travail basée sur une conversation constante, alimentée par des messages qui ne sont ni structurés ni planifiés, transmis par des canaux digitaux comme l’email et les services de messagerie instantanée ». Or, cette façon de collaborer est non seulement contre-productive, mais mène tout droit au burnout. C’est ce constat qu’il développe dans la première partie.

Partie 1 : un argumentaire contre l’email

Premièrement, l’email diminue la productivité en provoquant des interruptions et des changements de contexte permanents. Une étude de Rescue Time sur les habitudes de ses utilisateurs et utilisatrices montre que leur boîte de réception est consultée en moyenne toutes les six minutes. Or, à chaque rapide coup d’œil jeté sur un message entrant, non seulement notre attention se déporte de la tâche en cours, mais elle ne revient pas directement à la tâche initiale à 100 %. C’est ce qu’on appelle l’attention résiduelle, une notion identifiée par la chercheuse Sophie Leroy. Chaque fois que l’on passe d’une activité à une autre, une portion de l’attention reste fixée sur la première, en particulier si elle n’est pas terminée. En bref, la consultation compulsive de nos emails produit une fragmentation du travail qui réduit à moyen terme notre capacité de concentration. Elle a donc un impact non négligeable sur l’efficacité et la qualité du travail.

Le simple fait de couper les notifications ne suffit toutefois pas pour éliminer totalement le problème. L’email est également source de stress dans la mesure où il induit une obligation sociale de disponibilité à laquelle on peut difficilement déroger, car elle stimule des instincts primaires qui supportent mal d’ignorer une demande de la part d’un ou d’une membre de notre « tribu ». De plus, la transmission par écrit de problèmes complexes est laborieuse et appauvrit l’interaction. Des études scientifiques montrent que l’expéditeur surestime toujours le niveau de compréhension du message par le destinataire. Il en résulte des communications ambiguës qui prêtent souvent à confusion et compliquent la collaboration. Enfin, la simplicité du médium produit un effet collatéral important : on manque totalement de visibilité sur la charge de travail qu’on impose à nos collègues et inversement.

Pour étayer son troisième argument, l’auteur retrace l’histoire de l’email, depuis les transporteurs à tube pneumatique de la CIA jusqu’à son arrivée chez IBM dans les années 1980. Ce retour en arrière vise à démontrer que l’email a radicalement transformé nos processus de travail sans qu’on l’ait décidé consciemment. En d’autres termes, il adhère à une vision déterministe de la technologie, selon laquelle celle-ci se déploierait de manière autonome et provoquerait des changements sociaux, sans que les groupes concernés puissent l’influencer. J’avais déjà abordé ces fondements théoriques dans un article précédent, je ne m’y attarde donc pas. Je reste pour ma part sceptique sur cette vision des choses, qui ne rend pas totalement compte de la complexité des interactions entre processus sociaux et innovation technologique. Je m’étonne également que Newport ait fait l’impasse sur le courant de la sociomatérialité des technologies, en particulier les travaux de Wanda Orlikowski sur l’email.

Par ailleurs, l’auteur fait parfois appel à la psychologie évolutionniste, à l’anthropologie ou à l’éthologie pour démontrer comment l’email se place en porte-à-faux avec nos dynamiques sociales « naturelles » et des modes optimaux de collaboration en groupe. Ces études sont toutefois présentées de manière trop anecdotique pour que l’argument soit réellement convaincant.

Bref, si je souscris pleinement aux constats principaux de cette première partie — l’organisation du travail basée sur l’email montre trop peu d’efficacité par rapport au coût cognitif qu’elle entraîne — je n’adhère pas à certains aspects de l’argumentaire. À la décharge de l’auteur, je ne suis peut-être pas représentative de la majorité du lectorat, qui s’intéressera peu à la théorie et cherchera avant tout des solutions pratiques à mettre en place.

Et ça tombe bien, car c’est précisément l’objet de la seconde partie qui explore de manière plus concrète des modes alternatifs d’organisation du travail.

Partie 2 : principes pour un monde sans email

Au centre de ces modes alternatifs se trouve la notion de capital attentionnel. C’est un état d’esprit qui vise à préserver l’attention en limitant les changements de contexte et la surcharge informationnelle. Il est en effet assez aberrant que dans les métiers dits « intellectuels », on ne s’interroge pas davantage sur les manières d’utiliser au mieux nos ressources cognitives.

Dans cette seconde partie, Newport fait intervenir plusieurs cas d’étude d’équipes ou d’entreprises qui ont rangé l’email et les messageries instantanées au placard pour explorer des options moins frénétiques.

Le premier levier à activer pour réduire le nombre d’emails à la source, c’est de mettre en place davantage de processus pour les tâches récurrentes. L’auteur élabore ici une analogie avec l’émergence du fordisme dans l’industrie, c’est-à-dire la refonte de l’organisation du travail en vue d’accroître la productivité, notamment par l’invention de la ligne de montage. Une réflexion similaire devrait être menée, selon lui, dans le contexte des métiers du savoir.

Le risque dans cette réflexion est évidemment de tomber dans les dérives qui ont suivi ces innovations : intensification et déshumanisation du travail, ou micromanagement. Pour l’éviter, il établit une distinction importante entre organisation et exécution. Ainsi, concevoir un processus de collaboration en vue de la rédaction d’un rapport ne dicte pas la manière dont le rapport sera rédigé. En revanche, on précisera la répartition des tâches, de même que l’intervention de chaque membre de l’équipe au cours des différentes étapes.

Les modes d’organisation empruntés aux méthodes agiles de développement logiciel, et notamment le tableau Kanban, occupent une place centrale dans plusieurs de ces exemples et ce n’est pas un hasard.

Un deuxième levier pour s’affranchir de l’email se trouve dans la définition de protocoles de communication clairs. L’explicitation des attentes en matière de disponibilité permet de limiter pas mal de frustrations, mais ce réflexe n’est pas toujours intégré. Il y a aussi souvent une volonté d’éviter à tout prix les réunions, mais une rencontre ciblée, courte, efficace et récurrente pour faire le point sur les dossiers sera beaucoup moins énergivore que des allers-retours incessants par email au fil de la journée.

Le dernier levier proposé par l’auteur est de revenir à davantage de spécialisation. Par le déploiement des ordinateurs, les métiers intellectuels sont devenus polyvalents et intègrent désormais un grand nombre de tâches administratives autrefois dévolues à des fonctions de support. Newport plaide donc pour un meilleur équilibre entre des métiers de spécialisation, qui pourront se concentrer principalement sur leur domaine d’expertise, et des métiers de support. Je ne sais trop quoi penser de cette idée qui me semble en tout cas la moins facilement réalisable.


Malgré certaines faiblesses théoriques de l’argumentation, notamment dans l’utilisation des sciences humaines, le livre vaut clairement la peine d’être lu. Il a certainement conforté ma conviction que l’hyperconnexion qui sous-tend l’organisation du travail actuelle n’est plus tenable et qu’il est urgent de réinventer nos modes de collaboration.

L’un des grands points forts de l’ouvrage de ce point de vue, c’est qu’il parvient à se départir d’une vision purement individualiste de la problématique. En effet, la thématique de l’hyperconnexion est souvent traitée dans une optique réductrice. Elle se limite à une série de conseils un peu éculés, comme l’adoption d’une charte d’utilisation des emails qui ne sera jamais appliquée, ou la nécessité de faire des pauses. C’est bien beau tout cela, mais les initiatives isolées n’iront pas très loin si la culture de travail n’évolue pas dans le même sens. Dans la pratique, il est compliqué de se déconnecter pour plusieurs heures d’affilée si on sait qu’on met potentiellement toute notre équipe en difficulté. Et comment rester zen lorsque notre patron envoie des emails systématiquement le dimanche ou en soirée ?

En effet, l’auteur associe l’utilisation actuelle de l’email à une « tragédie des communs », selon laquelle chacun agit dans son intérêt individuel au détriment de tous. À court terme, envoyer un email est beaucoup plus simple que revoir nos processus de collaboration. Sur le moyen et long terme, toutefois, l’afflux de communication non structurée et l’organisation de travail chaotique qui en découle nuisent à la satisfaction professionnelle et au bien-être de tout le monde. Mais la tragédie des communs n’est pas inévitable. On peut prendre acte des limites du statu quo et décider collectivement de mettre en place une organisation du travail plus productive et avantageuse pour tout le monde. L’auteur met en avant les gains économiques générés par une telle augmentation de productivité (sans doute l’argument le plus convaincant dans une économie néolibérale). J’ai quant à moi surtout envie d’y voir une manière de réduire, à terme, le temps de travail. Newport invoque d’ailleurs le cas de Lasse Rheingans, un entrepreneur allemand qui a instauré la journée de 5 heures. L’explication ? Si on supprime les distractions et les conversations incessantes à propos du travail, ce temps est largement suffisant pour la réalisation des tâches.

La question reste de savoir comment transposer de tels modes d’organisation au sein de grandes entreprises ou d’une administration. Les exemples illustrés dans l’ouvrage concernent surtout des startup ou petites équipes, auxquelles ces modes de fonctionnement semblent plus adaptés. Plus l’organisation est grande, plus on trouvera de freins dans les mentalités, plus conservatrices, dans les structures, lourdes et difficiles à faire évoluer, de même que dans les environnements informatiques, contraints et rigides. Je m’interroge aussi sur les manières d’appliquer ces principes dans des fonctions plus transversales, qui sont amenées à interagir avec beaucoup d’interlocuteurs et d’interlocutrices au quotidien.

Même si mon champ d’action est limité, j’ai pris le parti d’explorer, à mon échelle, différents processus à mettre en place pour réduire mon impact mail. Je peux citer notamment :
– l’utilisation de Trello pour la gestion de l’information autour des projets ;
– le recours plus systématique à des fichiers partagés pour l’encodage de données récurrentes ;
– un lien Calendly pour fixer des rendez-vous plus simplement ;
– la conception de formulaires en ligne pour récolter des inscriptions à des séances de formation ;
– en réflexion, la mise en place d’heures de permanence.

Le processus est forcément expérimental et ne rencontre pas toujours une adhésion massive, mais chaque email évité est une petite victoire en soi.

Si vous avez mis en place de tels processus dans votre équipe, ça m’intéresse ! N’hésitez pas à les partager en commentaire.

Crédit Photo : Stephen Phillips – Hostreviews.co.uk sur Unsplash

7 Comments

  • Natacha

    Le livre de Cal Newport est toujours sur ma pile, je suis contente de lire un article à son propos ici !

    J’ai la chance de ne pas avoir à réagir rapidement à mes emails (ou en tous cas je me donne ce droit), mais j’ai des problèmes de procrastination avec les emails. J’ai énormément amélioré les choses depuis trois ans en décidant d’un protocole de mail ou je dois répondre dans les trois jours ouvrés, et ça m’a énormément aidée (voir mon blog pour plus de détails).
    J’utilise aussi Calendly, que j’avais mis en place pour mes rdv de coaching mais que j’utilise aussi avec mes collègues et les étudiants, avec des liens visio adaptés aux différents contextes.
    J’ai aussi en réflexion la mise en place d’heures de permanence, dans mon bureau ou en visio, mais j’ai une grande reticence à bloquer du temps régulièrement toutes les semaines pour ça. En l’écrivant je me dis que je pourrais tenter au moins un semestre et voir ce que ça donne.

    • Stéphanie

      Ah oui, la procrastination est encore un tout autre problème ! Pour ça le timeblocking est vraiment super utile je trouve.

      Quelle est ta réticence pour les heures de permanence ? Perdre ton temps si personne ne vient ? Je me dis que si je mets ça en place, je prévoirai un plan B, une série de tâches qui demandent peu de concentration à accomplir pendant ce temps. Mais l’idée est vraiment intéressante si ça permet d’éliminer une série d’interruptions pendant le reste de la semaine.

      • Natacha

        Non, je n’ai pas peur de perdre mon temps, je peux prévoir de faire du mail pendant ce temps là. Ce qui m’embête plus c’est de devoir fixer une plage horaire régulière pendant laquelle je te peux pas mettre de réunion/séminaire/….. J’ai peur de rigidifier mon emploi du temps. Une solution serait de ne pas avoir de plage hebdomadaire régulière mais une page/signature ou je note ma dispo de la semaine. Comment tu envisages ça ?

        • Stéphanie

          Personnellement, j’envisage plutôt un créneau fixe. Pour une raison de clarté, d’une part, envers les collègues et aussi de charge mentale : il me semble que ce serait plus pénible de devoir choisir chaque semaine un nouveau créneau plutôt que d’en fixer un une fois pour toutes. Par contre, ça me semble une bonne idée de publier l’info pour qu’elle soit facilement accessible aux personnes concernées.

  • Alaiya

    Ca me fait penser que je n’ai pas laisser mes impressions sur ton précédent article, concernant la méthode Kanban que tu évoques ici également. Si j’ai bien compris le concept, je t’avoue que cela m’est apparu trop complexe. Cela nécessite d’avoir les idées extrêmement claires avant même la mise en oeuvre de l’outil, ainsi qu’une conception du projet qui serait sans heurt ni anicroche et se déroulerait de manière assez idéal (minus quelques petits accrocs), et sans interaction avec d’autres projets / des équipes elles-mêmes affiliées à différents projets et chefs de projet. Ce qui dans mon monde est inimaginable.

    Mais cela revient à ce que tu indiques dans ton présent billet à savoir qu’il n’est pas envisageable de refonder des méthodes de travail sans volonté et adhésion collectives. Je suis persuadée moi aussi qu’on peut faire différemment et mieux. Néanmoins, il faut pour cela que chacun en soit convaincu, ce qui n’est pas gagné.

    J’aime bien expérimenter des choses dans mon job, et avec mon équipe. Eux-mêmes sont assez volontaires, bien qu’ils se réfugient régulièrement derrière l’argument « on a trop de travail pour prendre le temps (sic) de faire autrement ». Et même quand je leur donne du temps, justement, pour essayer de réfléchir et proposer des outils / procédures qui nous seraient utiles, ils trouvent l’idée bonne mais ne se mobilisent pas in fine, ou très peu.

    Ce qui revient régulièrement, toutefois, c’est cette notion de « spécialisation » que tu évoques, à savoir que les tâches administratives / à faible valeur ajoutée, devraient être dévolues à des gens qui leur seraient dédiés et ainsi la production (l’aspect intellectuel de notre métier) pourrait pleinement être optimisée par ceux qui en ont la tâche essentielle. Dans le cas présent, ce serait tout ce qui concerne les aspects financiers, qualité, etc. Sur le fond, pourquoi pas, mais le fait est que de tels postes sont « non productifs » donc représentent un coût, avec une vision restrictive. Bien évidemment, ces coûts (vision globale) seraient compensés par un gain de productivité de la part de ceux qui seraient débarrassés des tâches dites « ingrates ». Ceci étant, le risque associé de voir les gens travailler encore plus (et non pas moins) est réel.

    Je crois qu’il y a un monde entre un monde idéal où on serait super productifs et donc on travaillerait moins, et le vrai monde qui a horreur du vide. J’ai des cas dans mon équipe qui sont incapables de ne pas travailler, qui se tuent la santé mais qui ne peuvent pas s’en empêcher. La seule solution serait de les priver de leur téléphone / PC / connexion serveur pour les empêcher de bosser. Tout ça pour dire que le fait de modifier nos méthodes de travail pour moins travailler n’est pas forcément un souhait pour tout le monde.

    Les heures de permanence, figure-toi que j’y ai pensé et y pense encore. En soi, ça peut être envisageable et j’ai plus ou moins commencé de façon informelle grâce au télétravail : quand je suis au bureau, je me rends disponible pour les échanges en face à face et je me rends compte que les gens viennent aussi plus souvent au bureau quand j’y suis. A l’inverse, en TT, ils me sollicitent beaucoup moins parce qu’ils ont compris que si je mets en TT c’est pour ne pas être dérangée en permanence. Mais de là à le formaliser ? Cela me semble difficile en ce sens que les gens sont souvent dehors / réunion / sur le terrain de façon aléatoire. Mais c’est une piste à explorer, clairement.

      • Stéphanie

        Plein de retours intéressants, merci !

        Sur le tableau Kanban : Oh non, non, j’ai dû louper le coche avec cet article si j’ai donné cette impression. Les méthodes agiles sont au contraire beaucoup plus flexibles que la gestion de projet traditionnelle et donc plus adaptées aux imprévus et aux évolutions des projets. Mon tableau Trello évolue tout le temps, je rajoute des cartes, je les déplace, je les modifie, j’adapte le tableau constamment à mes besoins. Dans le cas de l’utilisation en équipe, les méthodes agiles prévoient une réunion courte chaque matin (15 minutes, stand up meeting) pour discuter ensemble des tâches de la journée, des priorités, de la charge de travail et le tableau est adapté en fonction. Évidemment selon le projet, ce n’est pas forcément adapté d’en faire une tous les jours, une fois par semaine peut être suffisant, mais tu vois l’idée. On en rediscute volontiers si ça t’intéresse.

        L’adhésion collective est effectivement importante et l’un des problèmes, c’est que les gens sont tellement tout le temps le nez dans le guidon qu’ils n’ont plus le recul nécessaire pour réfléchir à comment faire autrement. En plus de celles et ceux qui ne veulent pas changer parce qu’on a toujours fait comme ça. Parfois, une vision externe peut aider je pense.

        À propos de la spécialisation, l’une des dérives que je vois, c’est le danger de clivage encore plus grand entre les professions intellectuelles et celles à qui on ne laisse que les tâches ingrates comme tu dis. Ça pourrait devenir une position assez élitiste, même si effectivement, je conçois que ça n’est pas un bon calcul de payer un ingénieur, ou une avocate, ou que sais-je, pour faire de l’admin. Il y a aussi ce problème de plus en plus dans la recherche, avec la bureaucratisation du métier.

        Et enfin sur l’horreur du vide, ça me parle beaucoup et c’est la raison pour laquelle on a tellement de jobs qui ne servent à rien (les fameux bullshit jobs de D. Graeber). C’est une question de mentalité et de culture. On est dans une société qui est centrée sur la valeur travail et qui associe énormément l’identité individuelle à l’identité professionnelle. Mais ça n’est pas inévitable. Aujourd’hui, on passe pour un fainéant si on bosse moins que 8h par jour et si on ne fait pas de présentéisme, mais au final cette conception du temps de travail n’est pas si vieille par rapport à l’histoire de l’humanité. C’est une pure construction sociale de la période industrielle. Personnellement, je pense qu’en travaillant moins, on pourrait être tout aussi productifs pour la société (voire plus) par d’autres activités. Et si on mettait l’accent sur autre chose, sur l’équilibre de vie, la santé, le travail domestique, peut-être que ces personnes dont tu parles se valoriseraient moins par les heures de travail abattues. Bref, c’est un large débat qui est dans mes cartons pour un article dédié, quand j’aurai un peu de temps pour fouiller dans la documentation à ce sujet. 🙂

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