
S’affranchir de ses emails avec un tableau Kanban
Dans mon article sur l’hyperconnexion, j’avançais que l’un des grands problèmes de l’organisation professionnelle contemporaine vient du fait que l’email sert à la fois d’outil de communication, de gestion des tâches et de l’information.
Pour y remédier, j’utilise au quotidien un outil très simple en apparence, mais avec un potentiel énorme : le tableau Kanban.
Qu’est-ce qu’un tableau Kanban ?
Kanban signifie « étiquette » en japonais. Il désigne également un outil de support pour la production à flux tendu, inventé dans les années 1950 par Taiichi Ohno, ingénieur chez Toyota. Il a ensuite été adapté au développement logiciel par David Anderson dans les années 2000 et est utilisé dans le cadre des méthodes agiles.
Les méthodologies agiles comprennent plusieurs méthodes de gestion de projet qui s’opposent à la gestion de projet en cascade (waterfall). Là où la seconde est divisée en plusieurs étapes selon un déroulement linéaire, les premières suivent un processus itératif, comportant plusieurs phases de mise en œuvre et d’amélioration. Son grand intérêt, c’est son adaptabilité à la transformation rapide des technologies et le fait de se placer au plus près des exigences du client. En effet, la méthode en cascade a souvent tendance à produire un effet de tunnel, qui dure parfois plusieurs années. Le résultat final ne correspond alors plus aux besoins du terrain qui ont entretemps évolué.
L’étiquette « agile » est parfois galvaudée. Elle donne un vernis de « coolitude » à des environnements professionnels chaotiques, où rien n’est clair et où les projets se construisent en marchant. Or, même si le point fort de ces méthodes vient de leur adaptabilité, elles se caractérisent par une organisation très codifiée, dont on pourrait largement s’inspirer dans d’autres domaines. Planification détaillée, transparence dans l’attribution des tâches et des objectifs au sein d’une équipe, séquentialité du travail et efficacité des réunions en font partie.
Dans ce cadre, le tableau Kanban représente l’ensemble d’un processus de travail, avec des tâches sous forme de cartes qui passent d’une colonne à l’autre en fonction de leur statut. C’est en fait une manière de reproduire sous forme symbolique une chaîne de montage industrielle.
Les avantages d’un tableau Kanban dans la gestion de projet individuel
Grâce à son ingéniosité, le tableau Kanban s’est développé comme outil de gestion de projet au-delà du contexte informatique. Je l’utilise à titre individuel pour gérer mes projets professionnels et, plus occasionnellement, personnels. Je reviendrai plus loin sur son potentiel pour la collaboration.
J’y vois de multiples avantages :
- Une meilleure visualisation des tâches et de la charge de travail. Les déséquilibres et goulots d’étranglement apparaissent immédiatement.
- La centralisation des connaissances. Tout est à portée de main pour pouvoir avancer concrètement sur le projet.
- La structuration de l’information. On évite les changements de contexte trop fréquents.
- La flexibilité de l’outil, hautement personnalisable.
Le tableau Kanban supplante donc de loin la todo list, où les tâches s’accumulent les unes à la suite des autres sans structure. C’est l’outil idéal pour gérer des projets complexes. De plus, le fait de systématiquement capturer toutes les informations nécessaires me permet de me libérer une charge mentale importante. Je ne garde rien dans la tête, tout est répertorié dans ce tableau.
Comment j’ai configuré mon tableau Kanban
Beaucoup d’applications permettent de mettre en place un tableau Kanban. J’utilise Trello, car je le connais bien, il est très intuitif, et la version gratuite correspond parfaitement à mes besoins. Mais l’outil en lui-même importe peu, ce qui compte, ce sont les flux de travail que l’on construit autour.
En principe, un tableau Kanban correspond à un seul projet. Dans sa version minimale, il comporte trois colonnes : « À faire », « En cours », « Fait ». C’est là que j’ai un peu dévoyé l’approche originelle, pour me constituer un tableau de bord de tous mes projets. Vu le nombre élevé de projets dans lesquels je suis impliquée et qui requièrent une charge de travail très variable, ça n’aurait pas de sens de multiplier les tableaux. J’ai donc complexifié le système au fur et à mesure de mon utilisation pour qu’il corresponde davantage à mes besoins.

Mon tableau Trello comporte les colonnes suivantes :
- Informations : la liste de tous les projets sur lesquels je travaille actuellement, avec quelques informations essentielles, les grandes étapes et des liens éventuels vers des documents de référence.
- Backlog : les tâches qui sont dans la file d’attente.
- Cette semaine : les tâches dont je dois m’occuper au cours de la semaine et qui sont reprises dans les grandes lignes dans mon planning hebdomadaire.
- Aujourd’hui : les tâches sur lesquelles j’ai prévu de travailler aujourd’hui et qui sont planifiées par mon timeblocking. En principe, la colonne doit être vide à la fin de la journée. Soit les cartes sont archivées si la tâche est terminée, soit elle repasse dans une autre colonne (« backlog », « cette semaine » ou « en attente »).
- En attente : cette colonne me permet de ne pas perdre de vue certaines tâches qui ne nécessitent pas d’action de ma part, mais pour lesquelles j’attends un retour. Si elles sont particulièrement importantes, je leur mets une échéance pour me rappeler de relancer si je ne reçois pas de réponse.
- Prochaine réunion : les points à discuter lors de la prochaine réunion de service.
- Formation : les projets de formation qui ne sont pas encore planifiés.
- Admin : toutes les informations utiles à avoir sous la main rapidement, comme le lien vers mon planning partagé ou mon lien Calendly pour fixer des rendez-vous.
Au dos des cartes, j’inclus généralement :
- Une brève description de la tâche (quand c’est trop long, je crée une note à part et j’y ajoute le lien).
- Une liste des actions à cocher.
- Des liens vers les documents en ligne.
- Une échéance (et éventuellement une date de début).
- Des commentaires pour indiquer l’état d’avancement.

Trello propose une autre façon de catégoriser les cartes, en plus des colonnes : les étiquettes. Je les utilise uniquement pour des caractéristiques permanentes (en l’occurrence, le projet auquel elles appartiennent), plutôt que pour indiquer un statut. Il est en effet beaucoup plus simple de déplacer une carte d’une colonne à l’autre que de changer d’étiquette.
La fonction « recherche » de Trello permet de filtrer les cartes sur base des étiquettes. Je peux donc facilement faire apparaître toutes les tâches relatives à un projet.

J’utilise assez peu les pièces jointes. Trello ne permet pas d’héberger un lien vers un fichier situé sur le disque dur, mais le télécharge sur son serveur. C’est peu pratique lorsque ce sont des documents qu’il faut régulièrement modifier. Ce n’est pas non plus l’idéal du point de vue de la confidentialité. Je joins donc plutôt le lien vers les fichiers hébergés sur l’espace partagé, pour pouvoir y accéder facilement sans risque.
Petit à petit, j’essaie d’automatiser certaines actions fréquentes au moyen de la fonction Butler de Trello :
- Pour des tâches récurrentes, je lui demande de créer une carte avec tel titre dans telle colonne tous les x du mois.
- Les cartes qui arrivent à échéance sont automatiquement déplacées dans la colonne « aujourd’hui ».
Les processus comptent plus que les outils
Le tableau Kanban n’est pas un outil magique qui va résoudre tous les problèmes. Il est inutile en soi si les informations ne sont pas à jour et s’il n’est pas revu régulièrement.
S’astreindre à y capturer les informations et les tâches de manière systématique est indispensable pour pouvoir se fier complètement à l’outil. C’est la condition sine qua non pour limiter sa charge mentale. Bien sûr, je ne parle pas ici des tâches qui seront réglées en dix minutes au cours de la journée, mais de celles à plus long terme. Tout ce que j’ai noté à la main et qui n’a pas été terminé avant la fin de la journée est intégré dans mon tableau. Cela fait partie de mon rituel de clôture et me permet de me libérer l’esprit pour la soirée. En cette période de télétravail intensif, c’est important pour moi de mettre des frontières symboliques entre vie professionnelle et privée.
Chaque lundi, je fais le point sur le tableau pour établir mon planning hebdomadaire et je m’y reporte encore tous les matins pour faire mon timeblocking. Régulièrement, je passe en revue l’ensemble des tâches associées à chaque projet. Grâce à cette routine, je m’assure que je ne perds rien de vue et que tout est bien à jour.
Tout cela peut paraître complexe au premier abord, mais ce sont maintenant des automatismes. J’ai commencé par un tableau relativement simple, mais fonctionnel, que j’ai amélioré au fur et à mesure de mon utilisation.
Comment utiliser un tableau Kanban pour s’affranchir de sa boîte mail
Dans mon monde idéal, toute la gestion de projet et l’essentiel de la collaboration s’opéreraient par ce type d’outils et des protocoles de communication ritualisés. L’email servirait uniquement à quelques contacts externes ou à des courriers ponctuels et ne nécessiterait d’être relevé qu’une à deux fois par jour.
Malheureusement, je ne vis pas (encore ?) dans mon monde idéal et je ne peux pas imposer ma manière de travailler quand les habitudes sont si profondément ancrées et les outils ne sont pas forcément adaptés. J’ai toutefois mis en place quelques automatismes qui m’aident à mieux organiser l’information reçue par email. Cela me permet de ne pas devoir retourner en permanence à ma boîte mail, mais aussi de limiter les changements de contexte trop fréquents.
Limiter les recours à l’email à titre individuel
La règle que je m’impose, c’est de ne pas laisser dans ma boîte mail des informations importantes ou dont j’aurai besoin par la suite. J’applique ainsi le principe de l’inbox zéro, que j’ai déjà décrit dans un article précédent.
- J’enregistre les pièces jointes dans un dossier ad hoc, voire le mail, si je dois le conserver.
- Je reporte les actions à faire dans Trello, soit manuellement si c’est rapide, soit en transférant le mail vers Trello qui créera une carte automatiquement dans ma colonne « Backlog ». Je prends tout de même soin d’enlever les signatures qui comportent des informations personnelles et je ne laisse que les infos nécessaire au traitement de la demande.
Trello structure les demandes entrantes et les réduit à l’essentiel puisque tout le dialogue autour est supprimé. En plus d’avoir une vision très claire sur ce qui est à faire, les cartes comportent toute l’information nécessaire pour que je puisse avancer sur les projets sans passer du temps à fouiller dans mes emails pour rechercher l’info.
S’affranchir de l’email dans le travail en équipe
Les avantages d’organiser ses tâches de manière individuelle dans un tableau Kanban comme Trello sont déjà nombreux. Mais on pourrait aller beaucoup plus loin dans la réflexion en l’utilisant comme outil collaboratif.
D’ailleurs, Cal Newport y consacre plusieurs pages dans son dernier ouvrage A World without Email. Reimagining Work in the Age of Overload (dont je ferai bientôt le compte rendu sur ce blog).
Les fonctions collaboratives de Trello permettent de :
- partager un tableau avec plusieurs membres ;
- assigner une tâche à un ou plusieurs membres et donc de voir qui travaille dessus ;
- suivre une carte afin d’être notifié en cas de modifications ;
- interagir à propos d’une carte via les commentaires, ce qui permet de centraliser les discussions autour d’une tâche, plutôt qu’être éparpillées par email ou chat.
De mon expérience, l’une des grandes difficultés de la collaboration sur des projets, c’est l’accès à l’information. Le tableau Kanban permet de la centraliser et de la rendre aisément accessible à toutes les personnes concernées. Par ailleurs, il clarifie l’attribution des tâches et améliore la communication autour des projets. Il permet également de maîtriser la charge de travail en la rendant visible. Dans la conception originelle du tableau Kanban pour le développement logiciel, on définit d’ailleurs une limite dans le nombre de tâches pour la colonne « en cours », afin de ne pas surcharger l’équipe.
Un tel système, s’il s’accompagne d’un protocole de communication clair, comme par exemple une réunion récurrente et ciblée pour faire le point sur les tâches (sur le modèle des stand-up des méthodes agiles) et d’un espace de travail partagé pour le stockage et le travail sur les documents, permet de s’affranchir totalement de l’email pour le travail en équipe. Fini l’envoi de pièces jointes dont on ne parvient plus à retrouver les dernières versions. Adieu les allers-retours d’emails avec des questions ambiguës et des réponses qui le sont encore plus.
Certes, l’outil demande un peu d’investissement pour la mise en œuvre et la maintenance, mais le gain de temps, d’efficacité et de sérénité par la suite est considérable. C’est juste une question d’état d’esprit : renoncer à la facilité à court terme (envoyer un mail quand on a besoin de quelque chose) pour préserver l’attention de chacun (y compris la nôtre) et, par conséquent, augmenter, à long terme, la productivité et la satisfaction de tous. Ce compromis-là n’est pas seulement plein de bon sens, il devient de plus en plus nécessaire.
Crédit photo : Kelly Sikkema sur Unsplash.
2 Comments
Natacha
J’ai découvert Trello par Cal Newport et je m’en sers de plus en plus. C’est très intéressant de voir comment tu l’utilises. La partie importante pour moi est d’avoir tout au même endroit sans avoir besoin de changer de contexte et de me reconcentrer, donc j’ai plutôt un tableau par projet spécifique. Mon time-blocking de la semaine et du jour est sur papier, et mes choses à faire avec dates sur toodledo.
Stéphanie
Merci pour ton partage, Natacha !
Si les projets sont conséquents, ça a beaucoup de sens de faire un tableau par projet, effectivement. Idem bien sûr si on utilise Trello comme outil collaboratif. Je vois déjà moi-même que je vais devoir faire basculer un ou deux projets sur des tableaux spécifiques car ils prennent trop de place. C’est vrai aussi que c’est beaucoup mieux pour le changement de contexte, qui est devenu mon ennemi n°1. 😉
J’avais testé un m-oment de combiner Trello avec un outil de gestion de tâches (Todoist), mais j’ai renoncé et je mets tout dans Trello, avec des échéances ou la fonction Butler pour les tâches récurrentes.