bullet journal
Productivité

Pourquoi j’arrête le bullet journal (réflexions sur le temps libre)

Le bullet journal (ou bujo) est un système d’organisation qui réunit en un seul carnet calendrier, notes et liste de tâches. Le concept, initié par Ryder Caroll, a connu une importante popularité sur les réseaux sociaux visuels en particulier (Instagram, Pinterest et YouTube) où s’est formée une communauté attirée à la fois par la flexibilité du système, hautement personnalisable, et par ses potentialités en matière d’expression créative.

J’ai découvert le concept du bullet journal à l’automne 2015. Il avait tout pour me plaire, puisqu’il me permettait d’assouvir à la fois ma passion pour les systèmes de productivité et celle des carnets. Le timing était parfait. J’étais à l’aube d’un changement de carrière, après une année académique prenante, passée entre trois pays et deux continents différents, et éprouvante sur le plan personnel. J’ai ressenti le besoin d’investir à nouveau du temps et de l’énergie dans mes loisirs, que j’avais délaissés jusque là. Le bujo m’a donc aidée à m’affranchir (un peu) d’une identité qui était quasi exclusivement liée au travail et, par conséquent, à mieux vivre les périodes d’inactivité et d’incertitude professionnelle qui ont suivi.

Pourtant, au bout de 5 ans d’utilisation plus ou moins régulière et intense, je n’ai plus la foi. Certes, avec la reprise d’un travail à temps plein fin 2020, il m’est devenu difficile de maintenir deux systèmes d’organisation chronophages en même temps. Le bujo reste dans son tiroir pour des périodes de plus en plus longues. J’ai bien tenté de profiter de l’énergie de renouveau du mois de janvier pour relancer la machine, mais force est de constater que je n’en ai plus le temps ni l’envie.

Au delà de ça, je me rends compte que c’est ma conception du temps libre qui a évolué au fil des années.

Apprécier le processus plutôt que viser le résultat

Le premier déclic est venu d’une remarque de mon conjoint à propos de mon blog, qui disait en substance : « Pourquoi as-tu quitté la recherche si c’est encore pour te plaindre d’avoir un article à finir ? » Il avait raison. Le blogging, une activité que j’avais lancée sans trop d’ambition, juste pour le plaisir de bricoler avec un site web et écrire des trucs, était en train de devenir une contrainte.

Je ne sais pas à partir de quand le management par objectifs pratiqué en entreprise s’est à ce point imposé dans nos vies privées. On ne lit plus pour le plaisir, mais pour cocher des cases dans un challenge. On ne fait plus de sport, mais on cherche à améliorer ses performances ou on s’entraîne pour un semi-marathon. On ne prend plus une bonne résolution pour l’année, on se fixe des objectifs annuels et trimestriels (et s’ils sont SMART, c’est encore mieux).

Je n’ai absolument rien contre l’idée d’envisager sa vie personnelle avec intentionnalité, que du contraire. Mais à force de gérer mes activités de loisir comme je gère ma vie professionnelle, j’ai fait une overdose.

Par ailleurs, les objectifs que je me fixe en début d’année tiennent rarement la longueur. Certains sont tout bonnement irréalistes. Parfois mes priorités changent. Ou bien il y a des imprévus qui redistribuent les cartes (genre, à tout hasard, une pandémie).

Par exemple, j’avais déterminé pour le blog un rythme de publication toutes les deux semaines. Cela m’incitera à adopter une pratique d’écriture régulière et limitera mes penchants perfectionnistes, m’étais-je dit. J’ai tenu un mois. D’une part, ça me met une pression qui me semble superflue par rapport à l’enjeu. D’autre part, ça ne tient pas compte de mon cycle de créativité, où s’alternent des périodes d’incubation, parfois longues, lors desquelles j’ai besoin de lire et de m’imprégner de nouvelles idées, et des périodes de restitutions, où les idées sont suffisamment mûres pour être articulées en un texte lisible.

Aussi, le bullet journal m’encourage à considérer mes activités personnelles comme des tâches à vite vite terminer pour pouvoir les cocher. Et à force de me focaliser sur le résultat à atteindre, je finis par ne plus apprécier le processus en lui-même. Le plaisir de l’écriture, la joie de découvrir de nouvelles idées et la satisfaction de rassembler les pièces d’un raisonnement comme un puzzle passent au second plan. Tout ce qui compte désormais, c’est de cliquer sur le bouton « publier » et admirer le résultat.

Ce qui vaut pour l’écriture vaut aussi pour le sport. Entre faire sa séance uniquement pour noircir une case dans son tracker ou bien se focaliser sur le plaisir de prendre l’air et d’apprécier d’avoir un corps fonctionnel, c’est un tout autre état d’esprit. Et l’expérience qui en résulte est très différente.

Bref, en renonçant aux todo listes personnelles, j’espère remettre un peu plus d’intention dans ce que je fais au quotidien.

Revenir à l’essentiel

L’autre déclic est survenu à l’issue d’une période de déconnexion. Même en supprimant les réseaux sociaux et autres activités sur écran, j’ai réalisé que je ne parvenais toujours pas à réaliser tout ce que j’avais envie de faire. En conséquence, je vivais dans un état de frustration permanente.

J’ai suffisamment de projets en tête pour remplir plusieurs vies. La musique, le crossfit, le dessin, les langues étrangères, la lecture, l’écriture, le jardinage, la course à pied, le tricot, la randonnée, le bénévolat, la pâtisserie végétale, l’éducation canine, la danse. La liste des activités en cours ou rêvées n’en finit pas.

J’écrivais plus haut que le bullet journal m’a aidée à réinvestir dans ma vie personnelle et à développer des activités intéressantes en dehors de ma vie professionnelle. L’effet pervers, c’est qu’à un moment, j’ai été tentée de m’inventer des activités afin d’en remplir les pages.

Plutôt que fragmenter toujours plus mon temps et mon attention et passer sans cesse d’un domaine à l’autre, j’ai fait le choix de me concentrer sur un petit nombre d’activités. Je tente d’appliquer l’essentialisme : faire moins, mais mieux. Il n’est pas toujours simple de résister aux démons intérieurs qui font miroiter de nouveaux projets. Mais à l’heure où l’hyperactivité est devenue une norme sociale, il y a quelque chose de profondément libérateur dans l’idée d’en prendre le contre-pied.

Parallèlement, j’ai tenté de simplifier au maximum l’organisation de mon quotidien, en « automatisant » certaines tâches comme l’entretien de la maison ou l’administratif. À partir de là, je n’ai plus réellement la nécessité de tenir des todo listes journalières, ou même hebdomadaires, et encore moins d’établir des plans stratégiques trimestriels.

Le bujo est devenu superflu, il est donc temps de tourner la page. Je le remplace par deux pratiques, plus en accord avec cette philosophie. Un carnet de santé m’aide à améliorer ma qualité de sommeil et mon état de forme. Un « journal de bord » me permet d’adopter une pratique d’écriture plus régulière. Quand j’ai des idées qui tournent dans la tête, j’ouvre une note journalière sous Obsidian (que je teste en ce moment pour la prise de notes) et j’écris. Je ne m’y astreins pas quotidiennement, mais c’est là quand j’en ressens le besoin. J’y consigne aussi la liste des livres que je lis, non plus pour les comptabiliser, mais parce que j’ai une mémoire de poisson rouge et que je risque de les avoir oubliés à la fin de l’année.

Je ne dis que pas que les dérives que j’expose proviennent de défauts inhérents au bullet journal, évidemment. Simplement que celui-ci ne correspond plus à la manière dont j’envisage désormais mon temps libre. Une belle occasion de me rappeler que les outils de productivité, quels qu’ils soient, sont là pour répondre à mes besoins, et non l’inverse.

Crédit photo : Annie Spratt sur Unsplash

2 Comments

  • Alaiya

    Ne dit-on pas que ce qui importe, ce n’est pas la destination, mais le chemin ? 🙂

    Encore une fois, je partage ton analyse et ton ressenti : j’ai moi aussi laissé tomber le concept, je n’ai gardé qu’un mini agenda pour garder trace de mes séances de sport, de tâches domestiques particulières et de balades/déplacements/recettes testées. J’ai un autre carnet pour mes lectures/visionnages parce que comme toi, j’oublie très facilement !

    Avec le recul, je réalise que pour ce qui me concerne, c’est également un changement majeur dans mon quotidien (changement de poste professionnel) qui a généré un besoin prégnant d’organisation personnelle à un moment donné. Quatre années ont passé, et déjà l’année dernière, j’ai commencé à lâcher prise sur ces outils, parce que les routines mises en place sont devenues naturelles et aussi parce que je me suis rendue compte que vouloir absolument me tenir à des objectifs générait du stress inutile, d’autant qu’il se rajoutait au stress inévitable professionnel.

    Quant à la façon qu’on a de vivre ses loisirs : on a beau avoir des tas de projets et des tas d’envies, on ne pourra jamais que s’adonner à un seul d’entre eux à l’instant t. Donc autant se satisfaire de l’instant, et arrêter de se projeter sans cesse en mode « si… j’aurais pu… ». Ca ne sert à rien. Et en plus, ça nous « pourrit » la satisfaction qu’on est susceptible de retirer de telle ou telle activité. Contrairement au boulot, on n’est pas payé pour nos activités persos ! Par conséquent, les notions de rentabilité et d’efficacité ne devraient pas entrer en ligne de compte dans ce qu’on est censé accomplir… par plaisir 🙂

    • Stéphanie

      Tu mentionnes un point important je pense, qui est l’instauration de routines au lieu d’une todo list. Et effectivement, c’est comme cela que j’ai procédé pour les tâches domestiques récurrentes. Je n’ai plus à me poser la question de ce qui doit être fait, je sais qu’à tel moment de la semaine, je m’y colle et ça m’enlève une sacrée charge mentale. Je tente également d’instaurer des routines pour le sport et l’écriture, mais je n’ai pas encore réussi à ancrer celles-là véritablement dans mon quotidien.

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