Réflexions

Le blues de l’hyperconnectée

Avez-vous déjà pris votre téléphone machinalement en vous « réveillant » 20 minutes plus tard sans aucune idée de la raison pour laquelle vous en aviez besoin au départ ?

Avez-vous déjà calculé le temps que vous passez quotidiennement sur les réseaux sociaux ? Et pensé à ce que vous pourriez accomplir si ce temps était consacré à d’autres activités ?

Moi oui, et la question m’obsède depuis pas mal de temps.

La lassitude de l’infobésité

C’est évidemment très paradoxal de tenir ce genre de discours sur internet, j’en conviens. Et je ne nie pas non plus qu’il existe une certaine valeur ajoutée des réseaux sociaux en ce qui concerne la mise en réseau, la découverte et le partage d’idées.

Mais pour être totalement honnête, il y a des périodes, de plus en plus fréquentes, où je me dis que cette valeur ne pèse pas bien lourd en comparaison de l’inanité de la grande majorité du contenu que je vois défiler. Je pense surtout aux publicités pour des objets dont je n’ai pas besoin, mais aussi aux citations clichés sur fond de coucher de soleil, aux chaînes propageant des hoaxes, aux articles de presse bourrés de fautes d’orthographe et dont le contenu ne va pas plus loin que le titre…

Par ma formation et mon parcours professionnel, j’ai été formatée à aller au fond des choses, à creuser plus loin, à chercher la complexité, à considérer des problèmes dans leur ensemble. Inutile de dire que je me sens souvent en décalage dans cet univers de superficialité. Ce monde où le format vidéo est préconisé parce que les gens n’ont soi-disant plus la patience de lire un texte pendant plus de trois minutes.

Ce déluge d’informations indésirables m’épuise et provoque chez moi un sentiment de vide absolu lorsque j’y passe de trop longues heures. À cela s’ajoute la dissonance cognitive du fait de contribuer moi-même à cette masse de contenus, dont je questionne constamment la valeur et l’utilité.

Le spectre de l’exclusion sociale

Que faire donc ? Débrancher la prise ? Cette solution radicale paraît incontestablement la plus efficace.

À cette perspective surgit pourtant une réaction instinctive, presque viscérale : le FOMO (Fear Of Missing Out), ou la peur de manquer. Pas la peur de manquer de farine ou de papier toilette qui fait rage en ce moment dans les supermarchés, non. C’est la crainte de louper une information importante, de laisser passer une opportunité formidable pendant qu’on regardait ailleurs. Ou pire encore, la peur de couper le lien au réseau, et donc de subir une exclusion sociale.

Même si je me prends parfois à fantasmer sur les récits de déconnexion radicale (comme celui-ci), je ne suis pas (encore) parvenue à franchir le cap de tout couper définitivement, en grande partie pour cette raison.

La seconde raison vient de l’existence de ce blog, dont l’ambition est notamment de lancer des pistes de réflexions sur la manière dont on utilise notre temps. Et aussi paradoxal que cela puisse être, les réseaux sociaux sont pour l’instant un allié dans cette mission en me permettant de diffuser mes articles au-delà de mon cercle proche.

L’addiction qui ne dit pas son nom

Une partie de mes griefs tient donc au fonctionnement intrinsèque des réseaux sociaux et au modèle de l’économie de l’attention. J’explorerai d’ailleurs davantage les conséquences de ce modèle dans un tout prochain article. Mais soyons honnête, la frustration que je ressens vient aussi d’une utilisation qui est devenue beaucoup plus compulsive. Et ce n’est que récemment que j’en ai pris toute la mesure.

Certes, j’ai eu par le passé deux ou trois épisodes peu glorieux où je suis tombée les pieds joints dans la spirale de l’addiction au jeu. Rien de scabreux, je vous rassure. Je pense à Super Mario 3 quand j’étais ado (le seul jeu vidéo que j’ai jamais possédé). Je pense aussi, plus récemment, à Candy Crush (oui, c’est un peu la honte) ou à 2048. Ces épisodes ont eu en commun d’être brefs et rapidement sous contrôle. Je supprimais purement et simplement la source au bout de quelques jours d’improductivité complète. Consciente de ma sensibilité à ce type de distractions, je m’y intéresse désormais poliment quand on m’en parle, mais je m’en tiens éloignée.

L’addiction aux réseaux sociaux, en revanche, est plus sournoise. Premièrement, parce qu’elle s’installe insidieusement, au fil des différentes évolutions des plateformes et des algorithmes. Deuxièmement, parce que ces plateformes revendiquent une certaine utilité. Que cette utilité soit réelle ou fallacieuse, c’est une autre question sur laquelle je reviendrai également plus tard. Le fait est qu’on peut facilement se convaincre qu’elles nous sont indispensables pour nos objectifs. Facebook nous permet de rester en contact avec nos proches. Twitter nous aide à réaliser une veille informationnelle. Instagram fait connaître notre entreprise. LinkedIn booste notre carrière en développant notre réseau professionnel…

Toujours est-il que, pendant longtemps, mon utilisation des réseaux sociaux ne m’a pas semblé trop problématique. Certes, ils constituaient un moyen de procrastination privilégié. Je me disais que ce n’était pas inhérent à ces plateformes, mais à ma propre envie de procrastiner. Celles-ci remplaçaient simplement le solitaire et le démineur de l’ancien temps.

J’avais également vaguement conscience que, plusieurs fois dans la journée, je tapais l’adresse d’un réseau quelconque dans mon navigateur ou je cliquais sur l’icône de mon téléphone sans trop y réfléchir. Mais je n’y restais jamais très longtemps, alors « ça allait ».

Au fil des années, j’ai tout de même remarqué qu’il m’était devenu progressivement pénible de rester concentrée pendant de longues périodes de temps sans céder aux distractions. J’avais le mental de plus en plus dispersé. Rester focalisée sur une seule chose à la fois me demandait un effort important. C’était aussi devenu un réflexe de me « récompenser » après avoir fini une tâche en allant passer quelques minutes sur les réseaux sociaux. La satisfaction du travail accompli n’était plus suffisante.

J’ai compensé cela par la mise en place d’un système de productivité rigide, qui m’a permis de fournir du travail de qualité et de remplir mes objectifs, au prix toutefois d’une charge mentale accrue.

J’avais de plus noté que ma tolérance à l’ennui, qui n’est déjà pas très élevée au départ, s’était encore réduite. Je parvenais de moins en moins à supporter les périodes de creux, même de quelques minutes, sans dégainer mon téléphone. J’avais également l’impression qu’il me donnait une contenance dans des situations potentiellement inconfortables, comme l’attente dans un lieu public ou les pauses déjeuner en solitaire. Cette peur de l’ennui a peu à peu commencé à me préoccuper.

Pourtant, je ne faisais pas vraiment le lien entre la fragmentation de mon attention ou mon impatience chronique et mon utilisation des technologies et des réseaux sociaux. Je les attribuais plutôt à une forme d’hyperactivité mentale qui m’est propre et qui avait dû s’accentuer au fil des années. J’ai d’ailleurs commencé à m’intéresser à la méditation et au yoga pour tenter d’y remédier, avec un succès plutôt mitigé.

Le point de bascule

Le point de bascule a eu lieu à partir du moment où j’ai créé mon premier blog. D’un coup, d’un seul, je suis passée du statut d’utilisatrice lambda des réseaux sociaux au statut (auto-proclamé) de « créatrice de contenus ». L’ambition de toute personne qui tient un blog est, je pense, d’être lue. Sinon, on se contente de tenir un journal intime ou de partager ses réflexions avec ses proches.

Les réseaux sociaux, Facebook et Instagram en particulier, sont donc devenus un moyen facile de relayer mes articles de blog. Or pour avoir une chance d’être visible, il faut alimenter ses comptes très régulièrement, c’est la loi de l’algorithme. Et cette injonction a changé définitivement mon rapport aux réseaux sociaux.

Je ne m’attarde pas ici sur la frustration de constater parfois le faible retour sur investissement en comparaison du temps passé à peaufiner un post ou à retoucher une photo. Comme je l’avais évoqué ici, c’est d’ailleurs cette frustration qui m’a menée à créer un blog pour ce projet, qui avait été à l’origine pensé pour Instagram.

De manière plus fondamentale, les réseaux sociaux ont exploité une faille déjà existante en jouant sur la corde sensible du besoin de validation sociale. C’est ainsi que je me suis retrouvée à passer parfois plusieurs heures par jour sur Instagram. J’étais devenue incapable de regarder un film à la maison sans être simultanément sur mon téléphone. J’avais pris l’habitude d’occuper n’importe quelle minute de creux en ouvrant l’application. Et surtout, même sans l’utiliser, Instagram était devenu omniprésent dans ma vie quotidienne. C’était tout particulièrement le cas pour mon blog de cuisine : ne devrais-je pas partager tel plat ? Est-ce que ça ne ferait pas un bon sujet de story ?

Le résultat ? Un sentiment de néant absolu à la fin de la journée, doublé d’une remise en question permanente de mon travail. J’avais constamment l’impression que ce que je produisais n’était pas à la hauteur de ce que je voyais défiler. J’étais découragée à l’idée que je ne pourrais jamais me « démarquer » dans cette masse de contenus.

Une déconnexion salutaire

Or, il se trouve qu’au même moment, j’étais accompagnée dans le cadre d’une réorientation professionnelle. Ma coach, avec toute la perspicacité qui la caractérise, avait noté que j’utilisais les technologies, et particulièrement les réseaux sociaux et le visionnage compulsif de séries, pour fuir des questions difficiles. Elle m’a lancé le défi de réaliser une détox digitale d’une semaine. Le but avoué était de retrouver l’espace mental nécessaire pour renouer avec ma source de créativité.

Le blues de l'hyperconnectée - le récit de mon addiction aux technologies

Ce que j’ai ressenti en premier lieu à la perspective de ce défi ? De l’enthousiasme et une forme de délivrance. Quelle idée formidable, j’allais avoir le temps de faire plein de choses ! Dans la seconde d’après, j’ai réalisé le caractère profondément absurde de ce raisonnement. Qu’est-ce qui concrètement m’empêchait de faire toutes ces activités à n’importe quel moment ? Rien d’autre que mon addiction aux technologies.

J’ai donc choisi une période de cinq jours au cours de l’été 2019 où j’ai pris les mesures suivantes :

  • Je me suis tenue éloignée de la TV et de Netflix.
  • J’ai éteint mon ordinateur et je l’ai rangé dans un tiroir.
  • J’ai supprimé les applications problématiques de mon téléphone (Facebook, Instagram, email), y compris celle de podcast. Qu’est-ce qu’il y a de mal à écouter des podcasts ? Rien dans l’absolu, mais je me suis rendue compte que je les utilisais systématiquement pour combler les temps morts. Or, je voulais profiter de cette période pour apprivoiser le silence.
  • J’ai en revanche conservé les applications de messagerie instantanée car je les utilise assez peu. Elles me permettent de prendre de temps en temps des nouvelles de mes proches et de planifier des rencontres offline. Elles ne représentent donc pas un problème dans mon cas.
  • J’ai mis au point une liste d’activités que je souhaitais réaliser dans le temps récupéré : lecture, balades, coloriage et sport.

Lors de cette expérience, j’ai noté plus particulièrement les points suivants :

  • J’ai beaucoup dormi.
  • J’ai ressenti une certaine frustration. D’une part, j’en étais venue à idéaliser cette période qui aurait dû me permettre d’expérimenter le calme absolu et de me reconnecter à mon être profond. Inutile de dire que ces attentes étaient un brin irréalistes. D’autre part, je n’ai pas pu réaliser tout ce que j’avais prévu. Le sentiment de manquer de temps en permanence était donc toujours présent.
  • J’ai aussi ressenti pas mal d’anxiété à partir du troisième jour. Celle-ci n’était pas due à un sentiment de manque à proprement parler. Je pense qu’il s’agissait plutôt d’une anxiété latente que Netflix et co me permettait de soigneusement éviter. Une fois que j’ai pu éliminer tous les tampons émotionnels, cette anxiété a eu toute la place pour se manifester.
  • Quand je suis retournée sur les réseaux sociaux après la période de déconnexion, ce n’est pas l’enthousiasme de voir tout ce que j’avais manqué que j’ai ressenti, mais de l’appréhension. J’ai eu peur de remettre le pied dans l’engrenage alors que je commençais à peine à m’en libérer. À peine 15 minutes sur Facebook, j’étais déjà épuisée et je me suis déconnectée pour le reste de la journée. J’ai procrastiné mon retour sur Instagram de deux jours supplémentaires car je la craignais encore plus. Ce constat m’a beaucoup interpellée.

De manière plus globale, cette période de déconnexion m’a permis de prendre conscience des automatismes qui s’étaient installés. J’ai pu constater à quel point j’avais tendance à attraper mon téléphone machinalement, sans autre raison que combler l’ennui et/ou obtenir ma dose de dopamine. En m’informant sur les mécanismes de l’addiction aux technologies, j’ai compris que le problème ne venait pas de moi, mais des dérives de l’économie de l’attention. J’en reparlerai dans un prochain billet.

J’ai pu aussi prendre la mesure de mon insatisfaction permanente liée à l’impression de ne jamais avoir le temps de faire tout ce dont j’ai envie. Je pense que cette insatisfaction contribue largement à mon sentiment de dispersion. J’en viens à la conclusion qu’il est grand temps de me recentrer sur ce qui est le plus important et de faire définitivement le deuil du reste. Finalement, il s’agit de poursuivre ma réflexion sur le minimalisme, mais du point de vue des activités et plus seulement des possessions matérielles.

C’est enfin à cette occasion que j’ai découvert grâce à mes lectures les concepts d’essentialisme et de minimalisme numérique, sur lesquels je reviendrai.

Au final, cette détox m’a permis d’entrevoir une autre vie possible. Une vie plus posée, avec moins de stress et de culpabilité. Une vie plus centrée, où je pourrais mettre mes efforts au service d’un petit nombre d’activités et ne plus me préoccuper du reste.

À la recherche de l’équilibre

Cette période de déconnexion s’est donc avérée immensément bénéfique à de multiples niveaux. Malgré tout, je pense qu’elle était trop courte pour me permettre de me départir définitivement de mes mauvaises habitudes. J’ai d’ailleurs pour projet cette année de refaire une période de déconnexion plus longue, sans doute d’un mois. Celle-là sera peut-être un peu moins radicale : je supprimerai les réseaux sociaux tout en gardant l’utilisation de l’ordinateur et de l’email.

Crédit photo : Kevin Mueller (Unsplash)

Cela étant dit, je parviens à m’affranchir beaucoup plus de mon téléphone. Je le laisse dans un tiroir le soir et la nuit, parfois même une bonne partie de la journée. Je ne le prends plus systématiquement avec moi quand je sors.

Ma consommation de Netflix et autres services de streaming est devenue beaucoup plus intentionnelle. On a renvoyé notre box TV. On se connecte désormais à Netflix pour regarder quelque chose de précis, pas juste pour passer le temps. Au passage, je commence sérieusement à me lasser de cette plateforme qui semble avoir définitivement fait le choix de la quantité aux dépends de la qualité dans la production de contenus audiovisuels. En échange du temps perdu à regarder des séries de mauvaise qualité, j’ai renoué avec la lecture.

Je commence aussi progressivement à faire le tri dans mes occupations et à me recentrer sur celles qui me procurent le plus de satisfaction. Je ne les considère plus non plus comme d’énièmes tâches à ajouter à ma todo list.

Enfin, j’ai optimisé ma gestion des emails et je passe globalement de moins en moins de temps sur les réseaux sociaux. Certains jours, je n’y vais pas du tout. J’ai supprimé mon compte Twitter, que je fréquentais très peu, lassée des donneurs de leçon et de la négativité qui y régnait. J’ai définitivement supprimé l’application Facebook de mon téléphone (et bloqué l’accès au site sur le téléphone). Je supprime régulièrement celle d’Instagram lorsque je n’en ai pas besoin (donc quand je n’ai pas prévu de poster). N’étant pas très fan de LinkedIn à la base, j’ai tendance à y aller très peu de toute manière.

Pour être honnête, si je n’avais pas de blog, je pense que j’adopterais des mesures plus radicales. Je supprimerais sans aucun doute mes comptes Instagram. Je réduirais aussi considérablement mes passages sur Facebook, à peut-être deux ou trois fois par semaine.

Bref, je suis à la recherche permanente d’un équilibre. Comment retirer pleinement les bénéfices de l’utilisation des réseaux sans se laisser happer dans le labyrinthe de l’algorithme ? J’avoue que ça me donne parfois l’impression de traverser une crevasse de l’Himalaya sur une échelle brinquebalante, tant il est évident que ces plateformes n’ont aucun intérêt à encourager la mesure. Même si je parviens pour l’instant à garder mon utilisation sous contrôle, je dois bien avouer qu’il y a des périodes où cette discipline se fait au prix d’une charge mentale importante.

Il reste donc à voir si je parviendrai à résoudre l’équation dans la durée, ou bien si je finirai par me résoudre une fois pour toutes à débrancher la prise.

Alors, pourquoi est-ce que je vous raconte tout ça finalement ? Parce que je pense que mon expérience est loin d’être unique. Je l’avais pressenti et la courte enquête que j’ai lancée il y a quelques jours me le confirme. Je suis loin d’être la seule de souffrir du temps trop important passé sur les réseaux sociaux.

J’ai aussi l’impression qu’on en est venus à penser que c’est inévitable d’être toutes et tous plus ou moins accrocs aux réseaux sociaux. Or c’est loin d’être normal et c’est loin d’être anodin. Lorsqu’on parle des effets négatifs des réseaux, on aborde souvent la question des données et de la vie privée. On parle moins de leur impact sur notre équilibre de vie et notre état d’esprit. Dans mon cas, l’addiction aux réseaux sociaux était insidieuse. Elle ne m’est apparue problématique que lorsqu’elle a pris des proportions plus importantes. Toutefois, les effets négatifs s’étaient installés bien auparavant. Et ce n’est qu’en m’en détachant que je suis parvenue à en prendre toute la mesure.


Ce retour d’expérience tient lieu d’introduction à une série sur le minimalisme numérique. Pour consulter les autres billets, c’est par ici.

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